La présentation d’une démarche artistique me semble toujours délicate si elle se veut sincère. Poser des mots sur la brutalité d’un sursaut peut aisément « abîmer » la délimitation de l’ouvrage. Inversement, le discours doit se soucier de ne pas recouvrir la vivacité de la transcription. Il semble primordial de ne jamais laisser croire qu’une image puisse se suffire d’elle-même…
Mon travail plastique pourrait correspondre à une sorte de « surgissement du corps ». Les apparitions sont en concordance étroite avec le maniement de puissants mouvements psychiques. Une errance assumée finie par dévisager la toile ; S’inscrit alors une réflexion vivante, un miroir nous invitant à deviner l’immatérialité du monde. Finalement se retrouve là, ce qui ne peut être décomprimé de la pensée. Articulations ou désarticulations s’entrechoquent dans le réel de la toile. La peinture, c’est probablement l’effet de « contre coup », le transfert « en négatif » des épaisseurs de nos liens au monde. « L’art », nous permet de déambuler entre les plis de l’existence en déportant l’incertitude de la pensée. Cet exercice nous retient, au sein d’un espace mouvant, où des choses indéfinies s’attirent et se repoussent.
Ce trajet est aussi bordé par des endroits mystérieux d’où provient le langage, quelque-soit sa forme… Ainsi, le support d’inscription reste un lieu commun et propre à chacun. Mon travail s’y enracine par le biais de diverses expériences. J’ai eu l’opportunité d’exercer plus de dix ans le métier d’infirmière en pédopsychiatrie. Auprès des patients, j’ai couru autour de quelque chose qui a à voir avec « la traduction ». J’ai été contrainte parfois d’accueillir l’éblouissement du réel, les éclaboussures inévitables de la vie, la différence, la fixation d’une parole ou du silence qu’elle comporte. Il était toujours urgent de retisser une trame ensemble, en détournant des mots ou des images, en dérivant un temps l’énergie des cascades de douleurs stériles qui chutent sans fin.
Écouter, porter une parole inaudible ou encore imprononçable ; la contenir, l’abriter, faire entendre une voix « incohérente car si lointaine », transmettre, retracer, souligner, donner place à d’autres dimensions moins tangibles. Envisager tout cela, pour moi, c’est déjà commencer à peindre… La qualité principale de la matière n’est pas de faire écran aux mutations mais bien de pouvoir passer par différents états selon les forces appliquées par l’environnement.
« Peindre » est donc une proposition relative à l’espace et au positionnement. Chaque trace pourrait être une percée des intimes, une inscription de l’écoulement des distances entretenues avec nos plus fidèles illusions . Les mélanges sont imprévisibles voir instables. Des formes inattendues demandent à être soulignées, noyées, délimitées, remplies ou vidées. Parfois il s’agit seulement de superpositions, à d’autres endroits les unités se côtoient, lient ou déchirent le même espace. J’essaye d’inviter le regard à se frayer un passage. La circulation devient nécessaire pour switcher la clôture imposée par les bords du cadre. Concernant les techniques employées, je cherche à entretenir une authentique rencontre avec les matériaux. Je maintiens férocement à distance l’idée de « maîtriser » mes outils comme on pourrait parfois l’attendre d’un artiste suffisamment « formaté ». Sculpter un décor est une aventure. J’aime observer les infimes réactions qui s’entretiennent sur le support.